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L'Antre des mots
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24 avril 2012

Journal d'un corps Daniel Pennac

Journal d’un corps

                                            Daniel Pennac  

Editions Gallimard  2012

 

Ce journal –chronique de toute une vie est légué par le narrateur à sa petite fille « Lison »  (prénom prédestiné  pour   la lectrice désignée par son grand-père afin qu’elle pénètre dans l’intimité de la vie la plus proche de la matière-corps observé, ressenti, maîtrisé, évalué par l’esprit du narrateur. C’est même cette distinction-celle qui fait que l’on se sait mortel qui nous sépare de la matière inerte ou celle de la vie privée du langage articulé de la parole ; c’est cette distinction qui autorise ce qui peut paraître à notre époque soi-disant libérée la manière la plus crue et la plus vraie de «  parler de soi »

 Pennac pourrait reprendre l’audacieux préambule de J-J Rousseau dans les Confessions ; mais il s’en garde bien….

 

Dans le préambule de son journal, voici ce que le narrateur déclare à Lison :

« Le corps est une invention de votre génération, Lisons. Du moins quant à l’usage qu’on en fait et au spectacle qu’on en donne. Mais pour ce qui est des rapports que notre esprit entretient avec lui en tant que sac à surprises et pompes à déjections, le silence est  aujourd’hui aussi épais qu’il l’était de mon temps.

Si on y regardait de plus près on constaterait qu’il n’y a pas plus pudiques que les acteurs pornos les plus déculottés ou les artistes du body art les mieux décortiqués. Quant aux médecins, ceux d’aujourd’hui, c’est bien simple, ils ne le touchent plus .Ils n’en ont, eux, que pour le puzzle cellulaire, le corps radiographié, échographié, scanné, analysé, le corps biologique, génétique, cellulaire moléculaire, la fabrique d’anticorps. Veux-tu que je te dise ? Plus on l’analyse, ce corps moderne, plus on l’exhibe, moins il existe. Annulé à proportion de son exposition.

C’est d’un autre corps que j’ai, moi, tenu le journal quotidien ; notre compagnon de route, notre machine à être »

 De septembre  1936 à  au 29 octobre 2010,  c’est de manière très humble, précise et distanciée qu’il narre par le menu la vie qui bat, se débat par ses organes. Apparaissent  évidemment au fil du texte, ceux et celles  qui encouragent ou découragent cette existence du corps, en premier lieu pour cette catégorie, sa propre mère…

Mais il y a le père trop vite disparu emporté par les gaz asphyxiants de la première guerre-celui-ci saura lui donner quelques leçons de vie en se moquant de la mort si proche, Violette, le substitut maternel dont l’énergique tendresse va compenser une mère si lointaine  et Dodo le double de lui-même, frère inventé qui lui permet d’accéder à l’autonomie par cette affabulation d’une fratrie….enfin, il y a Mona, l’épouse qui l’accompagnera durant toutes ses années d’adulte et de vieillard ……..et c’est sans aucun filtre entre lui et la page que Le narrateur se livre et se délivre par ses comptes-rendus dans lesquels l’ « humaine condition »  se reconnaît si exactement…

Pour un lecteur ou une lectrice qui a passé la cinquantaine, c’est véritablement troublant de se remémorer en lisant ce « Journal d’un corps » les émotions et les blessures du sien, d’envisager également les déchéances inéluctables de l’âge………..

La langue est également simple, exacte, savoureuse : quelques exemples :

13 ans ,4 mois, 7 jours     mercredi 17 février 1937

Cataplasmes, gargarismes, badigeon, repos, oui, mais le meilleur des remèdes, c’est de me rendormir dans l’odeur de Violette. Violette est ma maison. Elle sent la cire, les légumes, le feu de bois, l’eau de javel le vieux vin, le tabac et la pomme. J’entends tourbillonner ses mots au fond de ma poitrine et je m’endors. Au réveil, elle n’est plus là, mais son châle me couvre toujours. C’est pour que tu ne te perdes pas dans tes rêves mon petit gaillard. Les chiens perdus reviennent toujours  au vêtement du chasseur.

 

28 ans, 3 mois, 17 jours   Dimanche 27 janvier 1952

Devenir père, c’est devenir manchot. Depuis un mois je n’ai plus qu’un bras, l’autre porte Bruno. Manchot du jour au lendemain. On s’y fait.

 

55 ans, 4 mois, 21 jours      samedi 3 mars 1979

Certains changements de notre corps me font penser aux rues qu’on arpente depuis des années. Un jour un commerce ferme, l’enseigne a disparu, le local est vide, le bail à céder et on se demande ce qu’il y avait là auparavant, c'est-à-dire la semaine dernière.

 

 Anne

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