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L'Antre des mots
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15 décembre 2010

Corpus delicti de Juli Zeh

« Dans Corpus delicti, Juli Zeh ausculte les maux de nos sociétés gavées de bien-être, sous forme d'anticipation. Nous sommes en 2057, dans un Etat qui impose à ses citoyens une redoutable dictature hygiéniste : sous peine d'emprisonnement, chacun doit respecter scrupuleusement la Méthode, un ensemble de règles préventives qui sont censées éliminer toute trace de contamination et de maladie. Interdit de fumer, bien sûr. Activité physique obligatoire. Inspection minutieuse des déchets. Alimentation surveillée. Alcool et drogues prohibés. Rapports sexuels soigneusement contrôlés. Police à tous les étages, pour le bonheur de chacun. »   

On ne sort pas indemne après la lecture de ce procès d’anticipation qui se lit comme une pièce de théâtre, totalement dénué d’affects et de sentiments humains. Je n’y ai relevé qu’une seule phrase où pointait une émotion : " Parfois, dit Mia, d’une toute petite voix, on s’aperçoit que l’odeur d’une autre personne est quelque chose de merveilleux". (elle s’était par mégarde un peu trop approchée de son avocat !)

Je savoure, de manière palpable, ma chance de vivre au début du XXIè siècle, où l’Etat ne me protège pas encore de tout risque, ne m’interdit pas de me mettre en danger, de penser. Mais je réalise aussi que je vis en 2010, à la même époque que les parents d’un protagoniste du livre qui explique pourquoi, en 2057, le citoyen, privé de toute liberté, n’a qu’un seul devoir : se maintenir en bonne santé :

« Après les grandes guerres du xxe siècle, une vague de rationalisme avait conduit à une vaste désidéologisation de la société. Des notions telles que nation, religion, famille perdirent rapidement de leur importance. Commencera alors la grande époque de la table rase. Au tournant du siècle toutefois, à la grande surprise de toutes les personnes concernées, les hommes ne se sont pas sentis portés à un degré supérieur de civilisation, mais isolés et désorientés, autrement dit : proches de l’état de nature. On ne parlait plus que de déclin des valeurs. On avait perdu toute assurance, on recommençait à avoir peur de l’autre. La peur gouvernait la vie des individus, la peur gouvernait la politique des Etats. On avait oublié que toute déconstruction doit être suivie d’une reconstruction. On en connaît les conséquences : recul des naissances, augmentation des maladies dues au stress, massacres perpétrés par des forcenés, terrorisme. Sans oublier la prédominance des égoïsmes individuels, le déclin de la solidarité et, pour finir, l’effondrement du système de Sécurité sociale. Chaos. Maladie. Fin de tout sentiment de sécurité". p 84

On y est et j’ai voulu creuser la pensée de l’auteure, Allemande, avocate, qui marie donc si bien le droit et la littérature, jusqu’à l’absurde. Elle dit dans une interview qu’elle a déposé plainte auprès du tribunal constitutionnel allemand contre les passeports biométriques à empreintes digitales et photo numérique qui représente pour elle une atteinte aux libertés fondamentales. Ce fut la première pierre à son édifice pour montrer que cette décision prise depuis le 11 septembre n’est pas seulement une mesure contre le terrorisme mais une des nombreuses mesures administratives en faveur d’une nouvelle forme de société que l’on ignore encore.

J’ai donc cherché sur Internet ce qu’il en était en France : « c’est officiel. Le passeport biométrique nouvelle génération a été lancé par un décret paru au Journal Officiel. Contenant une photo numérique et les empreintes digitales de son détenteur, il est appelé à succéder aux six millions de passeports électroniques fabriqués depuis 2006. Le Ministère de l’Intérieur a équipé, en juin 2009, deux mille mairies de machines qui produiront et enregistreront photos et empreintes digitales numérisées pour la puce des passeports. La généralisation de ce type de passeports, qui correspond aux normes de l’Aviation civile internationale, est réclamée par les Etats-Unis depuis les attentats du 11 septembre 2001. L’Europe aurait pris du retard. Dans un premier texte, la Commission européenne avait prévu que les empreintes digitales seraient facultatives, au grand dam des Américains. Elle les a par la suite rendues obligatoires sous la pression de quelques Etats membres dont la France, l’Allemagne et l’Italie, affirme l’ONG Statwatch».

C’est cela que le livre de Juli Zeh souhaite rappeler : la prévention peut devenir une véritable dictature.

Terrifiant et très fort !

mjo

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