La chambre solitaire de SHIN Kyung-sook (Corée du Sud)
Il est des livres dont la mélancolie imprègne toutes les pages. "la chambre solitaire" de SHIN kyung-sook est de ceux-là. Son caractère largement autobiographique donne encore plus de relief à ce vague à l'âme, parfois proche du désespoir, qui habite l'auteure dans la narration de trois années de sa vie, de 16 à 19 ans où, quittant sa campagne natale pour Séoul, elle va faire le dur apprentissage de la condition ouvrière. L'année 1979 marque le début de cette narration. la Corée du Sud est sous la dictature de Park Chung-hee. Le pays se construit en misant sur la production de masse destinée à l'exportation et réalisée par une main-d'oeuvre jeune "moteur de l'industrie" qui paie un lourd tribut à cette industrialisation naissante. Les journées sont harassantes, le travail posté, répétitif, impose des cadences infernales. Ces horaires de travail se doublent, pour celles qui aspirent à s'extraire de cette condition ouvrière, de cours du soir de niveau lycée. Les cadres des ateliers exercent leur tyranie sans retenue, répriment sévèrement tout manquement au réglement et dissuadent fortement l'adhésion au syndicat. Les salaires permettent à peine de survivre et la faim creuse les estomacs. La vie hors de l'usine n'apporte aucun soulagement. Les conditions matérielles sont d'une telle précarité que ces jeunes sont obligés de se serrer dans une unique chambre (la "chambre solitaire") où cohabite souvent une nombreuse fratrie. Comment échapper à la morosité du quotidien ? par l'amitié qui donne des éclats de bonheur et par le rêve !... que chacune de ces jeunes filles caresse mais qui se brise très souvent les laissant dans une profonde détresse. Le rêve de la narratrice, c'est de devenir écrivain. Sa ténacité, son intelligence et le soutien de son frère aîné vont lui permettre d'intégrer l'université et de donner "corps" à ce rêve. Pourtant, elle restera à jamais marquée par cette période si douloureuse de sa vie et cherchera à l'enfouir en son coeur . Ce n'est que vingt ans plus tard qu'elle pourra faire un retour sur son passé par la médiation de l'écriture et donner à tous ceux qui ont peiné avec elle "une place digne en ce monde".
C'est un livre qui restitue avec un réalisme, parfois teinté de lyrisme, la vie de ces jeunes, sacrifiés par un régime.On est frappé par leur courage et la fraîcheur de leurs espoirs aux antipodes de leur quotidien marqué par la privation, le manque, la servitude. L'auteur a réussi à échapper à un destin que beaucoup d'autres ont subi... mais le souvenir de la souffrance de ces trois années garde pour elle une telle "actualité" qu'elle ne peut connaître d'apaisement ni de vrai bonheur.
C'est un livre beau et fort, un moment de lecture chargé d'émotions et de gravité.
Annie du B