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L'Antre des mots
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16 février 2012

L'ELIMINATION de Rithy PANH avec Christophe BATAILLE


 

L'élimination

« JE VOUDRAIS QUE CE LIVRE NOUS RENDE LA NOBLESSE ET LA DIGNITE » (Rithy Pahn)

 

« A TE GARDER ON NE GAGNE RIEN. A T’ELIMINER, ON NE PERD RIEN » (slogan Kmer choisi par Duch)

 

En 2004 Rithy Panh a réalisé  « S21- La machine de mort Kmère rouge »,  film dans lequel il  a demandé aux bourreaux du centre (S21), là où ont été torturées 12 380 personnes, de refaire leurs  gestes, les filmant «  en situation » en quelque sorte pour  «qu’ ils pensent à leurs actes passés, pour que les acteurs de ce mal puissent le nommer ».

Dans ce film, Duch est absent alors qu’il fut le grand décideur du processus de mort de ce centre, son principal organisateur,  annotant les dossiers pour exiger davantage d’aveux,  donnant l’ordre de poursuivre les tortures, écrivant de quelques mots dans la marge la sentence d’exécution, froidement.

Pour Rithy Panh, il ne s’agit pas de juger, ni de comprendre (cela n’est pas possible) mais de recueillir  la parole de Duch pour « lui donner une chance de s’expliquer et dire sa vérité ». Difficile entreprise que Rithy Panh mène au moyen de quelques 300 heures d’entretien avant la période du  procès de Duch. Celui-ci jusqu’au bout reste une énigme, un homme dont on ne peut approcher ni la  sensibilité, ni  le cœur, ni l’intelligence : il négocie,  manœuvre  continuellement alternant dans ses réponses le mensonge, l’aveu, la contradiction, le regret, le déni,  l’esquive, la coopération, se réfugie derrière la hiérarchie (« j’ai été l’otage du régime ») et prononce d’une voix que Rithy Panh qualifie souvent de douce « mes hommes à S21 n’étaient ni cruels, ni méchants. Ils pratiquaient l’idéologie qui absout le crime ».  Insondable personnage, doctrinaire implacable qui ne connaît pas le repentir et se tient à distance de la vérité et,   inexplicablement, rit,   mais aussi un  intellectuel qui connaît Balzac, cite Vigny, fut professeur de mathématiques.

A ces entretiens s’entremêle l’histoire personnelle de Rithy Pahn. « En 1975  j’avais 13 ans et j’étais heureux » dit-il. Puis la violence, la terreur s’est abattue sur le peuple cambodgien « le nouveau peuple » celui des fonctionnaires, de la classe moyenne, des étudiants, professeurs… qu’il faut éradiquer. Le but de la  révolution c’est d’entreprendre un vaste mouvement de rééducation  pour  retrouver «  l’ancien peuple » hérité du royaume Kmer. Plus d’écoles, d’hôpitaux, de bibliothèques, de villes…mais une population entière courbée dans les rizières, ou trimant dans les usines. Cette révolution codifiée par « l’Angkar » (l’organisation) va se faire au prix de violences inouïes, durer quatre années et faire 1 700 000 morts : quatre années de déplacements continuels,   de familles divisées, de disparitions, de famine, de tortures, d’exécutions  pour rien , de maladies, de travaux exténuants ; quatre années sous l’emprise de  la peur constante de tout ce qui peut arriver. Lisant ce témoignage  on se demande comment certains ont pu résister à  cet enfer. Rithy Pahn dit qu’il ne pensait qu’à survivre et qu’il est vivant mais qu’il garde en lui « un chagrin sans fin…, des images ineffaçables ».

Dans « L’Elimination », deux hommes se regardent; un qui fut bourreau,  l’autre victime. Alors que les  paroles et les actes  de l’un   nous plongent dans l’effroi, Rithy Panh nous dit qu’il aurait aimé que Duch chemine vers l’humanité, qu’il y a une banalité du mal mais aussi  une   « banalité du bien ».

On dit parfois « âme sensible s’abstenir »  pour les livres  qui  risquent de nous remuer trop  profondément. Il faut pourtant savoir  dépasser ses émotions de lecteur pour lire ce livre nécessaire, indispensable,  d’une  grande force,  accepter de recevoir  le témoignage d’un rescapé et la parole d’un bourreau ;  car ce livre s’il nous  démontre la folie, le délire d’une idéologie pour laquelle l’homme n’est rien,  il  nous dit  quelque chose de l’humain, de sa capacité à faire le mal mais aussi de sa capacité à y résister et à y opposer  non la haine mais cette conviction que Rithy Panh nous soumet que « l’homme n’est pas foncièrement mauvais ».  Après avoir vécu le pire, Rithy Panh nous offre une troublante conclusion, pleine de générosité, pacifiante.

Enfin Rithy Panh par ce livre rend hommage à tous ses morts, ses parents,  frères et soeurs disparus, et  à tous les morts dont il faut connaître l’histoire car  « c’est le silence qui blesse… et ce qui blesse est sans nom ».

 

En même temps que ce livre Rithy Pahn sort un film « Duch, le Maître des forges de l’enfer ».

Annie du B.

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